François BAYROU : "l'accroissement de la dette est une épée de Damoclès au-dessus de la tête des Français"
François BAYROU a dénoncé, lundi 16 juillet, à l'Assemblée nationale, le report à 2012 du retour à l'équilibre des finances publiques. Rappelant que cette décision n'avait jamais été annoncée pendant la campagne, François BAYROU a évoqué un "devoir d'alerte dans le domaine politique". Il a estimé que l'accroissement de la dette était "une épée de Damoclès au-dessus de la tête des Français".
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 2012. M
En matière sociale, il y a un droit d'alerte. Eh bien, il y a, selon moi, un devoir d'alerte en matière politique.
M. Bouvard vient d'exprimer sa satisfaction de constater que les orientations budgétaires qui ont été arrêtées sont dans le droit fil des propositions annoncées par le candidat Nicolas Sarkozy pendant la campagne électorale. Il me semble au contraire que la disposition la plus importante n'avait nullement été abordée pendant la campagne présidentielle.
Dès que vous avez été nommé, vous avez annoncé une "pause" dans la lutte contre le déficit budgétaire. Vous avez ainsi fait savoir à nos partenaires européens qui nous reportions à l'horizon 2012, et non plus 2010, le retour à l'équilibre des finances publiques en France.
Or il n'en avait jamais été question. C'est même le contraire qui avait été dit pendant la campagne présidentielle. Les Français avaient en effet entendu que le déficit et la dette allaient désormais faire l'objet d'une vigilance générale. Les principaux candidats s'étaient tous prononcés en ce sens, souhaitant que l'effort ne soit pas relâché en la matière et qu'une politique de réduction du déficit enfin sérieuse soit menée. Nul n'ignore en effet que la dette financière constitue un risque très important pour la société française.
C'est une épée de Damoclès au-dessus de la tête des Français. Nous sommes menacés de voir les prélèvements sur l'activité du pays exploser et, au bout du compte, mettre en cause la compétitivité de l'économie française et donc notre niveau de vie. C'est d'autant plus vrai qu'il y a maintenant une circonstance aggravante. Si pendant des années les taux d'intérêt ont été très bas, nous savons que nous allons inéluctablement entrer dans une période où ils vont être plus hauts, ce qui fait planer une menace bien réelle d'explosion du service des intérêts de la dette.
Le sujet est d'autant plus brûlant - M. le rapporteur général y fait allusion dans son rapport - que, derrière la dette financière, il en existe une autre, moins apparente, mais encore plus inéluctable : je veux parler de la dette démographique. L'augmentation du nombre des personnes âgées, des retraités, le fait que la génération du baby-boom va atteindre l'âge de la retraite dans les années à venir, tout cela constitue une menace de très grands déséquilibres pour la société française, y compris financier. Nicolas Sarkozy a dit dans le débat entre les deux tours des élections que les retraites étaient financées jusqu'en 2020. Des guillemets s'imposent car nous savons tous qu'il n'en est rien et que nous allons, au contraire, vers des rendez-vous inéluctables.
Monsieur le rapport général, vous avez très souvent et fort justement insisté dans votre rapport sur les marges de manoeuvre, les "surplus durables" que vous avez estimés aux alentours de 10 ou 12 milliards d'euros.
Chacun sait ici que le déficit actuel s'établit à quelques 40 milliards d'euros et connaît le rythme obligatoire de baisse du déficit que nous devons respecter si nous voulons tenir le délai de 2010 ou
Voyons maintenant ce qu'il faudra inscrire en face de ces diminutions obligatoires. Un grand institut de conjoncture a indiqué ce matin que le paquet fiscal allait coûter 14 milliards en 2008 et 17 milliards en année pleine. En outre, un certain nombre d'engagements de dépenses supplémentaires, réitérés avec force tout au long de la campagne électorale, ont également été pris. Permettez-moi d'en citer deux ou trois.
Nicolas Sarkozy s'est ainsi engagé à augmenter de 50% le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui représente actuellement 21 milliards d'euros. Je vous laisse imaginer quel rythme d'augmentation des dépenses il faudra suivre pour atteindre la hausse de 50%.
François Fillon a annoncé de cette tribune, dans son discours de politique générale, qu'il allait lancer un grand plan de désenclavement des cités, notamment en matière de transports en commun. Songez à ce que cela représente comme investissement !
Par ailleurs, nul ici n'oublie les engagements - sans doute politiques mais plus encore moraux - pris au regarde de l'état de nos prisons. On peut parler d'atteinte aux droits de l'homme pour ceux qui sont privés de liberté pour avoir commis des délits et des crimes.
Si donc on ajoute aux 14 à 17 milliards d'euros de cadeaux fiscaux les 5 à 6 milliards d'euros de dépenses supplémentaires, on arrive à plus de 20 milliards. Mais comment va-t-on financer ces dépenses fiscales ou budgétaires nouvelles qui font l'objet essentiel de ce débat d'orientation budgétaire ?
La réponse habituelle, celle qui a encore été faire à cette tribune, notamment par M. Bouvard, c'est la réforme de l'Etat et la baisse du nombre des fonctionnaires liée au non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux?
A ce stade, un minimum d'arithmétique est nécessaire. Après M. de Rugy, qui s'y est appliqué sur plusieurs années, je vais m'y essayer sur un an : 35 000 départs à la retraite non remplacés équivalent grosso modo à cinq cents millions d'euros d'économies. Comme le Gouvernement a assorti le non-remplacement des agents de l'Etat qui partaient à la retraite d'un engagement qui est de rendre aux fonctionnaires la moitié des économies réalisées, ce ne sont plus cinq cents millions d'euros que l'on économise mais deux cent cinquante millions. Puis-je rappeler que, rapporté aux vingt milliards d'euros dépensés, cela représente moins de 2% des besoins de financement ?
J'en viens à ma conclusion. Le choix que vous avez fait et qui est le contraire de ce qui était prévu et annoncé va soumettre à des tensions insupportables des secteurs entiers de l'action publique de notre pays, et ce d'autant plus que nous sommes contraints à une certaines discipline budgétaire en raison de nos engagements européens.
Si encore nous avions la certitude que le paquet fiscal allait dans le bon sens et permettait de relancer l'économie et la compétitivité, peut-être pourrait-on prendre ce risque. Mais les plus grands économistes, comme la plupart des instituts de conjoncture, indiquent qu'au contraire vos choix ne vont pas dans la bonne direction. Et ce n'est un secret pour personne qu'y compris dans les rangs de la majorité des inquiétudes se font jour à ce sujet.
Je voulais donc vous alerter à cette tribune sur les risques que font courir vos choix aux finances publiques de notre pays et, à terme, à l'ensemble de nos équilibres économiques.