Dans l'interview publiée par le Figaro
vendredi 2 novembre, François Bayrou affirme qu'il se battra pour
réorienter la révision institutionnelle...
LE FIGARO. - Que pensez-vous du rapport Balladur sur la réforme des institutions ?
François BAYROU. - J'avais placé beaucoup d'espoir dans ce comité. D'abord, parce
que beaucoup de ses membres sont éminemment respectables et compétents. Ensuite, parce que les
orientations données lors de l'installation du comité Balladur me paraissaient aller dans le bon
sens, celui d'une clarification des rapports président-gouvernement et d'un rééquilibrage entre
exécutif et législatif. Le rapport contient des idées positives, touchant notamment aux procédures
parlementaires, qui rendent une part d'indépendance au Parlement dans ses délibérations comme dans
sa mission de contrôle. Mais en ce qui concerne l'essentiel, le rééquilibrage n'est pas atteint. Au
contraire. Les principales orientations du rapport nourrissent la confusion des rôles entre
exécutif et législatif.
Qu'est-ce qui vous inquiète particulièrement ?
Le choix de principe qu'il faut faire est de libérer le Parlement de sa dépendance à l'égard de
l'exécutif, pour qu'il y ait un véritable équilibre des pouvoirs. Or la proposition de coupler le
premier tour des législatives avec le deuxième tour de la présidentielle accentue au contraire
cette dépendance. Organiser le premier tour des législatives dans le climat passionnel du deuxième
tour de la présidentielle, cela renforcerait évidemment la bipolarisation en effaçant le reste du
paysage politique. Et c'est artificiel : imaginons ce qui se serait passé si, en 2002, les
législatives avaient eu lieu le jour du deuxième tour Chirac-Le Pen...
L'introduction d'une dose de proportionnelle vous satisfait-elle ?
Limiter la proportionnelle à 20 sièges sur 577, cela n'a pas de sens. C'est même presque
insultant. On ne cherche pas à représenter le pluralisme, on fait la charité de quelques sièges à
ceux qui ont refusé de se soumettre à la bipolarisation.
Êtes-vous d'accord avec l'idée d'une présélection des candidats à la présidentielle par un
collège de 100 000 élus ?
Faire voter un collège de notables plusieurs mois avant les citoyens reviendrait à organiser une
démocratie à deux degrés. Avec des citoyens de plein exercice, les élus, et des citoyens de
deuxième zone, les électeurs. C'est moins démocratique que le système de 500 parrainages actuel
dont l'objet est seulement de garantir la légitimité des candidats. Je prends le pari que les
Français n'accepteront pas cette oligarchie.
Approuvez-vous l'encadrement des nominations relevant du président ?
Pendant la campagne présidentielle, j'avais proposé que ces nominations (Conseil
constitutionnel, Conseil supérieur de la magistrature, CSA) soient validées par le Parlement à la
majorité qualifiée, ce qui oblige à trouver un consensus entre les grandes forces démocratiques du
pays. Nicolas Sarkozy en était venu, lui aussi, à défendre cette idée. Mais ce n'est pas du tout ce
que propose le comité Balladur. Il s'en tient à une simple audition devant une commission
parlementaire qui est, évidemment, dominée par la majorité et par elle seule. Donc, cela ne change
rien.
Partagez-vous l'avis du PS qui fait de la venue du président devant le Parlement un casus
belli ?
En fait, cette adresse au Parlement ne me choque pas, à condition que les parlementaires, qui
sont eux aussi des élus du peuple, puissent répondre et que le président les écoute.
En fin de compte, voterez-vous ce projet de réforme institutionnelle ?
En l'état, ce projet ne correspond pas aux attentes de ceux qui, de bonne foi, espéraient qu'on
allait trouver un nouvel équilibre pour la vie politique française. Il accentue un certain nombre
de dérives de nos institutions et de leur pratique. Je me battrai pour en changer l'orientation.
En revanche, approuverez-vous le traité de Lisbonne ?
On nous avait annoncé un traité simplifié. C'est en fait un traité compliqué, qui a été
éclaté en des centaines d'amendements pour que les objections disparaissent. S'agissant de la
mécanique institutionnelle qu'il met en place, le traité convient à peu près et c'est la raison
pour laquelle je voterai la ratification. Mais pour l'âme, c'est le désert. On a enlevé tout ce qui
donnait chair et espoir à l'idéal européen.
Regrettez-vous que le traité de Lisbonne ne soit pas soumis au référendum ?
Pendant ma campagne, j'avais défendu l'idée d'un référendum, en expliquant qu'il ne fallait pas
avoir peur du peuple sur le grand sujet européen. Nicolas Sarkozy s'y était opposé clairement et
c'est lui qui a été élu. De surcroît, le texte est devenu carrément illisible pour un citoyen
normal. Mais ma crainte est que le fossé se creuse un peu plus entre l'Europe et les citoyens.
Comment se présente le double congrès de l'UDF et du MoDem, à la fin du mois ?
Ce sera un moment important. Nous allons faire naître une nouvelle famille politique. Nous
allons adopter une charte éthique, une charte des valeurs et des statuts. Et surtout, une ligne
politique, un projet de société, celui d'une société de justice croissante face au modèle
d'inégalité croissante qui domine aujourd'hui la mondialisation. De si grands changements ne se
font pas sans difficultés pour une formation politique qui, dans le passé, s'était installée dans
la dépendance à droite. C'est cette dépendance que j'ai voulu rompre.
Pourtant, nombre de militants UDF rechignent à se fondre dans le Mouvement
démocrate.
Je suis convaincu que tout organisme vivant, s'il ne se renouvelle pas, s'affaiblit et
disparaît. Au contraire, cette transformation préserve et accomplit l'inspiration qui voulait faire
naître un grand parti central dans la vie politique française. C'est une nouvelle étape de la vie
politique de cette grande famille, celle de l'émancipation.